lundi 15 février 2010

vue aerienne de Tafraout


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L’ARGANIER




L’ARGANIER

Un arbre miraculeux


Promenades en voitures ou randonnées permettent d’accéder à des terres recouvertes d’arganiers, ces arbres miraculeux qui semblent tenir de ces ascètes qui ne craignent pas les terres arides, ne fuient pas l’épreuve et adaptent leur corps à leur environnement.L’arganier pousse sur une terre de rocaille, à l’orée du désert. Unique dans son genre il ne pousse qu’au maroc. Présent depuis l’ère tertiaire, l’arganier assure la fertilité des terres. Toute une population vit de cet arbre épineux, toujours vert, qui possède un feuillage touffu et dont la forme et la grosseur des fruits ressemblent à de belles olives de couleur jaune et verdâtre d’abord, puis veinée de rouge à la maturité. Chaque partie de l’arbre a ses usages, il offre un excellent bois de chauffage, sert à la fabrication d’outils. Ses feuilles nourrissent les chèvres et les dromadaires. La forme de l’arganier change selon les conditions du sol et du climat.

Une balade de deux ou trois heures en pays de CHIADMA et HAHA nous fait découvrir des arganiers aux formes clémentes qui se déploient et se dressent en hauteur. En bordure des côtes, là où le vent se fait plus rude, ou dans les montages où l’eau se fait plus rare, l’arganier est un arbre au tronc tortueux et gris. L’arganier s’adapte. Il peut même donner l’aspect d’un arbre mort pendant les périodes de sécheresse et renaître dès les premières pluies. Cette résistance et cette adaptabilité, l’arganier les doit à ses racines profondes et à une frondaison souterraine dense « ce réseau gigantesque - il atteint en volume cent fois la frondaison de l’arbre- donne à l’arganier les moyens d’affronter les pluies généralement fortes et les vents violents qui sévissent dans ces régions semi-arides à désertiques » L’arganier, qui s’étendait autrefois sur tout le territoire marocain, ne vit aujourd’hui que dans la région d’Essaouira, Taroudant, Tafraout, Sidi Ifni et goulimine. S’il résiste bravement aux conditions climatiques dure, il subit depuis la fin du XIXe siècle les coupes massives des entreprises pour « répondre aux besoins d’expansion des terre agricoles et à la demande des charbons de bois des villes ». La population de ces terres se sert aussi de l’arganier pour se chauffer. L’homme menace quotidiennement son propre environnement. Le défrichement intensif entre Agadir et Essaouira, Agadir et Taroudant au profit des cultures agricoles intensives met en péril la survie de la foret. La disparition des arbres est un des premiers facteurs de la sécheresse. Des personnes ont pris conscience de l’importance de la survie de cet arbre dont on ne cesse de découvrir de nouvelles vertus, alimentaires et cosmétiques et oeuvrent à multiplier l’arganier et à le planter selon des méthodes modernes.





Comment obtenir l’huile d’argane :


L’arganier produit fleurs et fruits,



apres la cueillette, les fruits sont dépulpés pour n’en garder que les noix,



les noyaux sont ensuite concassés à la main, avec des pierres, afin d’en extraire les amandes,



ces dernières sont alors torréfiées



puis broyées dans une meule de pierre pour obtenir une patte épaisse. Cette patte est mélangée à de l’eau un peu tiède et malaxé à la main jusqu'à obtenir une galette que l’on presse pour extraire l'huile d'Argan






Le travail des femmes consiste à enlever la pulpe du fruit, puis de casser la noix pour obtenir l'amandon, qui sera ensuite torréfié sur feu doux avant d'être broyé dans un moulin à bras traditionnel, la pâte ainsi obtenue est malaxée manuellement avec de l'eau tiède, puis pressée entre les mains pour en extraire l'huile au goût de noisette.

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L'ARGANIER selon Mohammed Khaïr-Eddine (poète écrivain amazigh)


Arbre magique et vénérable, tes racines forent le roc et scellent avec la terre un pacte irrévocable ;
tu es le végétal le plus résistant et sans doute le plus beau.
On ne saura jamais ton âge réel ni si tu es issu d’une comète ancienne ; tu recouvres les versants montagneux de ta splendeur incomparable – tu es puissant et capable de surmonter les assauts des chèvres et des criquets qui te dépouillent de tes feuilles pareilles à des paillettes d’émeraude quand le soleil insuffle à ton murmure inaudible l’onde irisée de l’arc-en-ciel :
un langage mémorable sourd de tes fibres et de tes branches où le rat-palmiste cueille des noix d’ambre qu’il enfouira pour que tu te perpétues à l’infini, toi qui défies le temps, les intempéries, les canicules et la main de l’homme.
Maître incontesté du Sud, on t’appelle Arganier mais nul ne sait ton véritable nom ; peut-être l’oued asséché le sait-il, qui dit au laurier rosé la gravité de ta sombre parure ;
la cigale et la tourterelle, indifférentes aux vicissitudes terrestres, chantent ta beauté car tu les soustrais au danger en ta feuillée impénétrable ;
Cet hôte qui gîte en tes racines externes, c’est le naja solitaire dont le sifflement aigu module la clarté fugace des songes diurnes.
Été comme hiver, ton ombre s’allonge jusqu’au piémont comme pour instruire le mouflon de l’imminence d’une mort brutale :
– le chasseur qui t’avait déraciné en masse pour bâtir un palais de rêve où tu avais vécu depuis Noé est tombé du mont frappé d’une vengeance atroce ;
– il est écrit que quinconque t’égratigne encourt les foudres telluriques ;
mais tu n’es pas toi-même ce dieu vindicatif qui broie les armées dans un éclair intense ;
l’espoir pur des vastitudes inconnues t’anime et chaque lettrine du ciel est une étoile brillante qui te conte l’histoire du Chaos crucial.
les Anciens te disaient Génie tutélaire, protecteur des hommes et des bêtes ;
ils t’aimaient et te vénéraient, ceux-là qui se nourrissaient de cette huile rouge et parfumée que ton amande amère sécrète lorsque l’été culmine au zénith ;
aucune tempête ni chergui ne peuvent démanteler ta couronne, arbre plus dur que le granit et l’agate ;
jeune ou vieux, tordu ou élancé, tu illumines la rocaille d’une aura que seuls distinguent les anachorètes ;
c’est ton essence immatérielle qui frémit au fond du puits et dans la gorge du troglodyte ;
ton idiome inscrit dans les grimoires sacrés qui pare le scarabée bleu de l’éclat des gemmes légendaires ;
vieil arganier, je te salue du tréfonds d’un monde qui ne connaît de toi que les cosmétiques extraits de ton amande ovale.

source : mondeberbere

a suivre...



KASBAH DE TIZOURGAN

Kasbah Tizourgan


Le réveil d’un haut lieu


Sur une petite butte, s’élève Kasbah Tizourgan, un ensemble de bâtisses qui épouse les rondeurs du piton.


Devant les fours à sauterelles, un escalier de dalles conduit à un porche fortifié desservant des ruelles enfermées dans des remparts dotés d’un chemin de ronde. Le borj contenait l’ancienne prison. Elle débouche sur un assays la place destinée aux danses collectives qui possède un four communal (afernou ljmaat). Au fond de la place se trouve la mosquée au mihrab arrondi si caractéristique des mosquées de la région. Deux citernes recueillent les eaux de pluie, elles ne suffisaient pas autrefois pour tout le site, de nombreux petits réservoirs disséminés dans le paysage complètent donc le dispositif.


source photos slide :
http://www.tizourgane-kasbah.com/


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HIER
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La fondation du grenier est attestée par des textes datant de la fin du XIIe siècle. Les archives privées familiales font état de quatre lignages ayant fait souche sur le site, l’implantation initiale des demeures se serait faite en divers lieux au pied de la butte. Dès le XVIe siècle, sous la pression démographique, les habitants s’installent autour du grenier et l’annexent en partie. Ce repli sur les hauteurs semble concomitant d’une période agitée. Le grenier et le village ne sont plus aussi nettement séparés que naguère, beaucoup de parties anciennement réservées au grenier se transforment alors en habitation. Peu de greniers ont cette configuration. Lorsqu’un village est accolé au grenier, il le jouxte communément, sans pour autant l’annexer, Kasbah Tizourgan est l’un des rares villages de la région, où l’habitat définitif est venu se surajouter après coup à ce lieu de refuge et d’emmagasinement. Placés sur une zone frontière entre des régions contrôlées par le makhzen et des régions plus troublées, les habitants pouvaient se réfugier en cas d’alerte dans l’agadir qui dominait le site. Le saint Sidi M’zal enterré à proximité, tenta de son vivant d’apaiser les conflits, sa descendance occupe aujourd’hui douze sites alentour. Pendant l’occupation française, le lieu est connu pour sa résistance. Mais, du fait de terres trop étroites et de revenus faibles, et aussi des contacts que ces pieuses familles avaient avec les villes du nord, l’exode, phénomène ancien dans la région, s’intensifie à partir des années 1950, tandis que de nouvelles constructions sont bâties à proximité de la route. L’ancien village se vide progressivement ne laissant sur le site que quelques vieillards sans ressources. On ne remplit l’agadir que lorsque le climat permet d’abondantes récoltes. Si la récolte est peu abondante, elle est conservée à la maison.
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AUJOURD’HUI

Récemment, le site a fait l’objet de réhabilitation pour être converti en lieu d’accueil touristique (maison d’hôtes). La grande difficulté réside toutefois dans le fait que la région s’étant vidée de sa substance, plus personne ne désire vivre dans les compagnes. Aussi chaque action devient-elle problématique : comment convaincre les gens d’habiter dans des sites qui ne produisent rien ? Le tourisme apparaît souvent comme l’unique ressource. Pour les initiateurs du projet, c’est surtout un point de départ pour les autres actions plus globales de protection de la région
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Pour se rendre à la kasbah de Tizourgan où l’on peut prendre un thé, déjeuner, dîner et passer une nuit ou plusieurs jours : juste après la ville d’Agadir vers ait baha, la très jolie route du souk el khmiss des idaw ougnidif, direction tafraout, la butte nous apparaît rapidement, environnée de saints et de greniers plus au moins abandonnés.

jeudi 8 mai 2008

Raiss Said Achtouk

Said Achtouk
Un maître de la chanson amarg [1]


par Lahsen Oulhadj



En Afrique du Nord, les aires culturelles amazighes se distinguent par la richesse de leurs patrimoines musicaux aux caractéristiques et aux influences très diverses. Les régions du Sud-Ouest marocain ne dérogent pas à la règle. Elles sont connues par cette musique emblématique, et de loin la plus répandue, l’amarg, et par une mosaïque de traditions poétiques et chorégraphiques. En langue amazighe, le terme amarg désigne tout d’abord la nostalgie [2] et la poésie, et, par extension de sens, la musique où cette même poésie est chantée et dansée. P. Galland-Pernet, qui a beaucoup étudié les littératures amazighes, a vu dans le terme amarg, la racine wrg (rêver), et propose cette plaisante définition : "Ce qui rassemble les rêves" ou "le domaine des visions, des jeux de l’imagination, des illusions" [3]. Une pléiade de grands musiciens-chanteurs, tout aussi exceptionnels que doués, ont hissé cette musique au summum de la perfection, et ont marqué d’une empreinte indélébile son évolution : El-Hadj Belâid, Boubaker Anchad, Boubaker Azâri, Hussein Janti, Mohamed Albensir, Omar Ouahrouch pour ne citer que ceux là. S. Achtouk, avec son œuvre prolifique, foisonnante et novatrice, peut légitimement prétendre faire partie de cette lignée d’artistes légendaires.

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Dans cet article, je n’ai nullement la prétention de faire une étude exhaustive de cet auteur. Ce n’est pas l’idée qui a fondé ce travail. Je ne ferai donc qu’une tentative aussi modeste soit-elle pour essayer de dégager quelques instruments d’ordre biographique, littéraire et socioculturel à même d’expliquer, en partie seulement, le génie de ce grand artiste et sa contribution importante à la production musicale et littéraire amazighes. Une étude approfondie et complète nécessitera à coup sûr plusieurs centaines de pages.

Qui est-il ?
S. Achtouk, de son vrai nom Bizran, naquit au début des années trente au village d’Izouran d’Idaou-Bouzia, dans l’une des plus grandes confédérations tribales du Souss, les Achtouken, d’où son surnom. Cette tradition de se rattacher à sa tribu d’origine est fort répandue chez les rways [4]. Les exemples sont légion : Mohamed Albensir en référence à sa tribu d’Ilbensiren, Boubaker Anchad d’Inchaden, etc.

Le père de notre poète est le fqih du village. C’est naturellement lui qui lui a appris le Coran et les rudiments de la lecture et de l’écriture. Il va sans dire qu’il allait s’opposer catégoriquement à la vocation musicale précoce de son rejeton ; pour deux raisons : d’une part, l’interdit religieux frappant la musique, d’autre part, l’image négative qu’ont les musiciens dans l’imaginaire populaire. En fait, les Amazighs ont un rapport ambivalent de fascination / rejet à l’égard de la musique et de la poésie. Voyons ce que dit un poète amazigh à ce sujet :

Hûrma [5] mlat yyi ! man sâhâ rad awîh
Dites-moi, s’il vous plaît, quel bénéfice aurais-je,
Ay ayt bu-twenza hê imurig nssen nit
Ô femmes, de la pratique d’ imurig alors que je sais
Is ila làib ilit wannat isalan
Qu’il est dévalorisant et me dévalorise tout autant
Is ka ugîh i ils inu tadallit [6]
Mais, je n’en ai cure car je ne veux plus que ma langue soit méprisée

Le pater familias l’ayant surpris en train de s’entraîner à manier le lutar [7], n’a pas hésité à le lui casser sur la tête dans l’espoir de le dissuader de sa vocation. Il a tout essayé, mais en vain. L’obstination voire l’entêtement de notre poète ont eu raison de son opposition radicale.

Chemin faisant, celui-ci l’a laissé en définitive faire, mais avec deux conditions : primo, ne jamais enregistrer volontairement et moyennant finance sa voix sur aucun support audio ou vidéo (toutes les cassettes de mauvaise qualité sonore qui circulent actuellement dans le marché, ont été enregistrées clandestinement et à son insu, lors de ses représentations musicales) ; secundo, ne jamais succomber aux sirènes de l’émigration en Europe. Ce qui fut dit fut fait. La musique de notre rrays [8] n’a jamais été produite par aucune maison de production, malgré les offres, vous pouvez bien l’imaginer, mirobolantes des producteurs de tout bord. Il n’a non plus jamais pensé s’installer en Europe même s’il y a séjourné à plusieurs reprises.

Ceci étant dit, notre artiste ne s’est pas consacré uniquement qu’à la musique et à la poésie. Il a eu des activités aussi diverses que variées. Par exemple, les populations d’Idaou-Bouzia lui ont confié un mandat électif pour les représenter au sein du conseil de la commune rurale de Belfaâ, à quelques encablures de la ville d’Agadir. Une tâche dont il s’est acquitté, selon plusieurs témoignages, avec sérieux et dévouement. Il s’est également intéressé au sport et particulièrement au football. Il a présidé, pendant de nombreuses années, aux destinées de l’équipe de Biougra et n’a de cesse de soutenir toutes les équipes emblématiques du Souss, le Hassania et le Raja d’Agadir notamment. Il a aussi monté une entreprise agricole, avec l’aide de l’un de ses amis, pour produire des tomates, mais sans grand succès. Tel a été S. Achtouk, un homme touche-à-tout et un personnage haut en couleur. Il est resté ainsi jusqu’à son décès dans une clinique de Rabat, le 7 septembre 1989, suite à une longue maladie.


Sa formation musicale et poétique
Les Achtouken se distinguent par l’ajmak, une variante, semble-t-il, de l’ahwach [9], nonobstant la pratique à un degré moindre certes, ici et là, de danses d’ahiyad [10] et d’ismgan [11]. L’on peut facilement imaginer que l’enfance de notre chanteur a été bercée principalement par cette tradition poético-chorégraphique propre à cette partie du Souss. Et dont l’influence sera a posteriori constante et importante sur son œuvre. Il serait intéressant de donner de l’ajmak une petite description pour mieux comprendre la production poétique et musicale de S. Achtouk.

Les tribus amazighes d’Achtouken, au lieu de croiser le fer, comme cela a été souvent le cas autrefois, ont opté pour un autre choix moins belliciste et plus civilisé: l’ajmak. Autrement dit une émulation voire une "guerre" poétique sur la place du village, l’asrir entre deux groupes rivaux. A notre époque, et heureusement d’ailleurs, l’ajmak est plutôt l’expression d’une joie collective et un désir impérieux d’être ensemble sans pour autant qu’il perde un certain nombre de ses traits originels. Et ce n’est pas qu’une simple danse, "c’est un spectacle total qui déploie musique, rythme, danse et une foule de signes que l’expérience des siècles a affiné et enrichi, le tout accède à un niveau esthétique élaboré" [12].

L’ajmak, pour être plus précis, consiste à déclamer des joutes poétiques en une seule traite et en alternance par deux rangs alignés, épaule contre épaule, et séparés par un espace de quelques mètres, de plusieurs dizaines d’hommes pourvus de belles voix et surtout originaires de tribus ou de clans ou tout simplement de villages différents (lâimma). Les participants, qui rejoignent au fur et à mesure la cérémonie, doivent, à la fin, former un arc. Leur accoutrement doit être impeccable : des djellabas d’une blancheur immaculée, des turbans entourant et serrant les chefs, des babouches flambants neuves, sans oublier l’éternel et scintillant ajnwi, ce poignard dont la symbolique est évidente. Tout cela confine l’ajmak à un cérémonial solennel.

Les joutes poétiques, entonnées collectivement, sont le fruit de l’instant présent c’est-à-dire improvisées avec tout ce que ce terme a de positif : la spontanéité, la pureté et le naturel. Elles sont produites par un ou plusieurs trouveurs-aèdes qui ont déjà fait preuve par le passé de leurs compétences et dont la renommée n’est plus à faire (tels Rrih, Ouseltana, Ourrabouss, Oughidda et tant d’autres). Pour être reconnu dans ce milieu très fermé des poètes de l’ajmak, il faut impérativement répondre à quelques conditions pour les moins importantes : une langue amazighe châtiée, un sens de la répartie, la dérision, l’ironie, la satire, et surtout une connaissance profonde des us et coutumes et de l’histoire de la région. Encore faut-il mettre tout cela en vers. Ce qui non seulement demande un don inné pour cette poésie ajmakienne, mais aussi, comme vous pouvez en douter, une maîtrise totale des règles de versification et de métrique impénétrables pour le commun des mortels. Seul, parfois, un auditoire acquis et "initié" peut en comprendre toutes les subtilités, et partant en saisir le sens et toute la beauté. Il n’est pas donné à tout le monde d’apprécier l’ajmak et à plus forte raison y participer, serait-on tenté de dire.

on peut reprendre aisément à notre compte les remarques de M.Rovsing Olsen a propos de l’ahwach, qui cadrent avec nos propres constatations concernant l’ajmak : "Mais il n’en faut pas plus pour que les auditeurs locaux retiennent les paroles ou, dirions-nous, leur version des paroles, car l’ambiguïté du sens est, semble-t-il, partie prenante de cette poésie" et ajoute plus loin qu’"on a parfois le sentiment que tout est mis pour occulter les paroles, que ce soit par le bruit ambiant, (…) ou encore par l’articulation des paroles. Si bien que la poésie est plutôt devinée qu’entendue" [13].

Les échanges entre les participants sont émaillés d’entractes où des danses d’une rigueur implacable sont exécutées. Tout est calculé à la seconde près. Les tremblements saccadés des épaules, les battements des pieds sur le sol et les mouvements de la tête, doivent toujours être faits à l’unisson et d’une manière concomitante. Le tout accompagné par les claquements des mains répondant à des mesures rythmiques que seuls les pratiquants chevronnés peuvent nous expliquer. Le résultat, malgré le nombre important des participants, est d’une homogénéité et d’un agencement des plus parfaits.

A chaque fin d’échange, un troisième groupe (Id Boujmak) vient investir l’espace entre les deux groupes ; il est menu d’une batterie de ces tambourins sur cadre, les tallount ou taggenza [14], chauffés, pendant de longs moments, sur un brasier allumé pour l’occasion. Ces tallount sont sonnés violemment et collectivement juste avec les bouts des doigts (assender). Il faut être au mieux de sa forme physique pour pouvoir suivre le rythme très soutenu. Les participants âgés sont vite essoufflés. Par ailleurs, l’œil vigilant et surtout l’oreille attentive du chef percussionniste sont toujours à l’affût (feu rrays [15] Dekoum a été un maître légendaire). Le tempo, les flexions en avant et finir par une génuflexion collective doivent être exécutés avec une régularité parfaite

La moindre faiblesse ou la moindre fausse note est immédiatement décelée. Les moins bons et les jeunes sont réprimandés ou tout simplement exclus. Ce qui a malheureusement pour incidence la disparition lente, mais réelle de l’ajmak. Car la relève est loin d’être assurée. L’ajmak est en quelque sorte victime de l’inconscience des anciens et de cette manie absurde de la perfection et de l’authenticité, dont, au passage, beaucoup d’observateurs voient un formalisme éculé. Ne vous étonnez pas de voir que ceux qui le pratiquent actuellement sont à quelques exceptions près des quinquagénaires voire des sexagénaires, si ce n’est plus !

Pour autant, le seul participant qui peut se permettre des libertés avec l’ajmak est lâmet ; en fait, il s’agit d’un personnage comique et clownesque, habillé différemment, qui peut courir dans tous les sens, faire des mouvements acrobatiques, des grimaces, et parfois même lancer des cris dans le but de faire amuser l’assistance, mais, faut-il encore le répéter, sans jamais gêner, un tant soit peu, le déroulement de la cérémonie.

L’exécution de l’ajmak, comme nous pouvons le remarquer, se déroule à tour de rôle dans l’ordre suivant : une chorégraphie spécifique très élaborée, échange poétique et finalement l’assender. C’est indéfiniment ainsi pendant toute une soirée qui ne prend fin, généralement, qu’aux aurores. A ce moment là, les participants se rassemblent dans un désordre festif et carnavalesque pour une danse finale rythmée au son des tallount et d’un naqous [16] (tamssoust), où, dans une ambiance très badine, une ritournelle est entonnée, avec une cadence lancinante. Au final, tout le monde se congratule et se pardonne, dans un esprit sportif comme à la fin d’un combat sans vainqueurs ni vaincus, en souhaitant naturellement une autre rencontre dans les plus brefs délais.

C’est dans cette école très formatrice de poésie et de rigueur que Said Achtouk a acquis l’essentiel de ses connaissances poétiques et musicales, et a fait par la suite ses premières armes. Il faut dire qu’il n’a été ni le premier, ni certainement, nous l’espérons, le dernier. Une lignée de grands artistes originaires d’Achtouken y ont débuté : Hussein Janti, Boubaker Anchad, Brahim Achtouk, Bihtti, etc.

A dire vrai, l’ajmak a sous-tendu la créativité dont notre poète a constamment fait preuve tout au long de son parcours artistique, et a eu une influence majeure, sinon déterminante, sur son énorme œuvre. D’ailleurs, celui-ci ne s’est jamais empêché au fait d’y participer même au pires moments de sa longue et harassante maladie. C’est dire son importance dans sa vie en tant qu’homme et artiste.

S. Achtouk ne s’est pas arrêté en si bon chemin, il s’est évertué à aller de l’avant. Ayant pris conscience que les canons stricts de l’ajmak bridait en quelque sorte ses potentialités poétiques, il s’est tourné vers l’art musical d’amarg auquel il se préparait depuis belle lurette, en autodidacte sûr de lui et de ses capacités. Il a appris tout seul à manier le lutar et le rribab [17] sans lesquels cette musique n’est absolument pas possible. Il a imité à ses débuts les plus grands de la chanson amazighe, dans toutes ses variantes : Boubaker Anchad, Hussein Janti, El-Hadj Belâid, etc. Néanmoins, conscient de son manque d’expérience, notre artiste n’a pas hésité à rejoindre, en 1959, la troupe d’un autre géant des rways, Ahmed Amentag qui l’évoque en ces termes : "La première troupe que Said Achtouk a intégrée, a été la mienne. Il était considéré comme l’un des plus célèbres poètes de l’ajmak. Parallèlement, il apprenait à manier le lutar et le rribab […] Il avait déjà un public qui lui est totalement acquis lors des ses hauts faits poétiques dans l’ajmak. Un membre de mon groupe, rrays Abdellah Achtouk, me l’avait présenté en tant que poète doué et fécond. Il est resté avec moi pendant six mois, le temps de parfaire sa formation de violoniste. Ce n’est que par la suite qu’il a formé sa propre troupe" [18].

Peu de temps après, S. Achtouk a donné les coudées franches à son immense talent. Le violoniste virtuose, le compositeur reconnu, le chanteur estimé et le poète hors pair : telles sont les multiples facettes de la personnalité créatrice de notre rrays. Il a pu grâce à son génie, sa sensibilité à fleur de peau et à son mérite créer un style musical sui generis, qui lui a valu un succès pérenne.


Said Achtouk et son œuvre
S. Achtouk s’est imposé comme l’une des figures phares de la chanson amazighe. Il est indubitablement, si je reprends une expression théâtrale, une bête de scène. Mais dans un souci de réalisme, nous parlerons plutôt de "la bête de l’asarag" [19]. A chaque fois qu’il se reproduit quelque part, des foules entières d’aficionados inconditionnels se déplaçaient pour venir le voir. C’est à l’occasion, le plus souvent, des cérémonies matrimoniales des familles de la région, et plus rarement, lors des fêtes nationales et les réjouissances d’almoggar, ces rassemblements commerciaux et spirituels annuels, probablement les vestiges, encore vivaces, du paganisme amazigh, organisés par une tribu ou plusieurs fractions tribales aux alentours du mausolée de leurs saints protecteurs (Sidi Boushab, Sidi Said Cherif, Sidi Bibi, Imi Lefayh, etc.)

Notre artiste a toujours préféré un contact direct avec son public. Un échange voire une communion se produit au fur et mesure du déroulement de ses spectacles musicaux qu’il agence selon l’inspiration du moment et la qualité de l’assistance. Il commence grosso modo par des préludes instrumentaux aux rythmes classiques qu’on peut considérer comme le B.A.-Ba de la musique amarg, et sur lesquels les danseuses-choristes, sous leurs plus beaux atours, esquissaient des danses collectives très élaborées. C’est par la suite qu’il chante en suivant un rituel assez immuable. Tout d’abord, il demande à Dieu et surtout à ses saints (Sidi Hmad Ou Moussa, Ait Douzmour et Ait Waghzen) auxquels il croit fermement leur bénédiction pour que tout se passe le mieux possible. Et là, il faut signaler que tout chanteur ou poète, au début de sa carrière, doit s’appuyer sur un ou plusieurs Saints. Pour cela, il faut suivre un rite initiatique appelé en amazighe tchyyikh qui consiste en plusieurs séjours nocturnes dans l’enceinte du mausolée d’un saint qui seul, semble-t-il, est à même d’octroyer les "clés" du génie poétique. La poésie procède d’un monde de forces surnaturelles. Jugeons-en :


Ad ak nshâdêr ssadat ura ssâlihîn
J’en appelle aux saints et aux marabouts
Ad âh irxu lhêsab irxu u awal
Pour que je puisse avoir facilement l’inspiration


Dans un moment de manque d’inspiration, c’est le saint qui devient le recours le plus naturel :


Man za ak a ccix a walli-s a thendazêh awal
Où es-tu mon saint pour m’aider à mettre en ordre mes mots

Ensuite, il souhaite la bienvenue et la paix à tout son auditoire qu’il incite à rester calme et à lui prêter une oreille attentive. Et enchaîne aussitôt par solliciter la générosité de l’assistance aisée en lui adressant des chants dithyrambiques et laudateurs. Ce qui n’est pas sans offusquer au plus haut point notamment son public jeune, généralement instruit. Tandis que les riches et les notables, personnellement nommés, trouvent là l’occasion de faire étalage de leur richesse. A qui mieux mieux. Ils sortent, avec ostentation, des liasses de billets de banques pour en couvrir l’artiste et ses musiciens. Il faut bien dire que cela frise parfois le ridicule. Quoiqu’on en dise, il faut se rendre à l’évidence.

Cette pratique, toutes proportions gardées, est justifiée. Car, l’État marocain, malheureusement, ne reconnaît même pas le caractère de culture à l’amazighité qu’il assimile allégrement à un folklore, condamnée à disparaître tôt ou tard. Comment voulez-vous que l’artiste amazigh puisse prétendre à une protection juridique publique qui lui garantisse de vivre de son métier ? Pour faire bref, je dirais, en retenant le bon côté des choses, que c’est une sorte de mécénat qui lui permet de vivre vaille que vaille. Le hic, c’est que Said Achtouk avait une situation sociale et matérielle enviable et n’a nullement besoin de se comporter de la sorte. Il n’en demeure pas moins, malgré le procès qu’on peut lui faire, un géant de la musique amazighe.

Dans certaines de ses représentations, Said Achtouk peut donner le meilleur de lui-même ; des poèmes, avec un accompagnement musical réduit au minimum et un peu à la manière des griots africains, couleront à un débit époustouflant dans une exultation totale des spectateurs, surtout quand sont évoqués les sujets sensibles : la femme et l’amour. Les Amazighs "sentant la langue de la poésie comme une langue différente de la langue de tous les jours, et ils disent qu’elle est belle" [20]. Les you-you stridents des femmes et les acclamations à tout rompre des hommes s’alterneront toute la soirée. Il peut chanter parfois jusqu’à l’aphonie. Pour se reposer, il agrémente souvent ses spectacles d’anecdotes et de calembours au plus grand bonheur de son public.

Cependant, il arrive, parfois, que notre poète ne soit pas au mieux de sa forme ou tout simplement de mauvaise humeur pour telle ou telle raison. Il chantera une ou deux fois et laissera sa place aux apprentis-musiciens qui l’accompagnent. Iqsiden (aqsid au singulier), c’est ainsi que S. Achtouk appelle ses poèmes, pour preuve ces deux vers :

Ha dâh ya uqsid ur-ta y-akw imatîl
Voici un autre nouveau poème
Igan win ghilad iggut mani-n yut
Il est d’aujourd’hui et a des sens très profonds

Ils sont très souvent longs, très sobres et nous ne parlerons pas de leur pauvreté, comme l’a fait H. Basset, mais d’une économie "parfois extrême, [qui] n’est pas propre au berbère, mais elle, semble-t-il, la caractéristique de toute langue poétique traditionnelle. Il en est ainsi de la langue poétique médiévale" [21]. Nous pouvons également remarquer que notre artiste n’est pas très différent d’autres rways qui "reproduisent les techniques de versification et la richesse rhétorique de la poésie amazighe qui use souvent du symbolisme : rimes et assonances, imagerie recherchée, vocabulaire spécial, et de toute une panoplie de matériaux poétiques qui concoure à charmer les connaisseurs et le grand public" [22].

Ces iqsiden ont des caractéristiques qu’on peut considérer comme des constantes de la poésie amazighes traditionnelle. Primo, l’absence de l’unité du sujet ; plusieurs thèmes peuvent être évoqués dans un seul et même poème. Qui plus est, des prises de position opposées voire antagoniques peuvent être adoptées dans le même poème sans que cela dérange outre mesure le public. Secundo, la présence d’écarts syntaxiques et lexicaux, même si S. Achtouk n’en abuse pas beaucoup, ce qui cadre globalement avec la remarque d’A. Basset à propos des licences dans la poésie amazighe en affirmant "le caractère secondaire des genres et des nombres, l’utilisation du singulier pour le pluriel [et inversement], le peu d’importance accordé au temps des verbes ainsi que l’usage d’un vocabulaire particulier, marqué par des archaïsmes et des néologismes" [23]. Et H. Jouad, qui par ses excellentes recherches, a dégagé le système de versification de la poésie amazighe explique que "cette violation de l’accord grammatical" et "d’autres licences poétiques" répondent à une nécessité "d’ajustement" par rapport à une "matrice métrique" [24]. Néanmoins, cette poésie n’est pas une quadrature du cercle. Elle est toujours porteuse d’un sens qui, il est vrai, n’est pas toujours accessible à tout le monde.

D’aucuns lui reconnaissent un talent poétique exceptionnel. On sent que derrière ses textes, il y a un travail de recherche et de profonde réflexion. Il refuse d’utiliser exagérément les emprunts et évite tant bien que mal les arabismes et les gallicismes. C’est un véritable orfèvre de la langue amazighe. Sa capacité à bien choisir le mot touchant ou la formule émouvante, doublée d’une mémoire infaillible, en font un maître incontesté et incontestable. En plus, la Nature l’a gâté doublement : elle l’a doté d’une voix chaude et chaleureuse, très appréciée par son public, et d’une condition physique irréprochable ; il peut rester d’aplomb et chanter des heures durant sans jamais perdre le fil ni de ses idées ni bafouiller un seul instant. Ce n’est qu’aux dernières années de sa vie, la maladie n’arrangeant pas les choses, qu’il donne des signes visibles de faiblesse.

Il a abordé tous les sujets et tous les thèmes inhérents à son milieu social et culturel : l’émigration, l’agriculture, l’exode rural, etc. Il a également tâté tous les genres poétiques : l’éloge, la poésie nationale, religieuse et moralisatrice, etc. Pour autant, le genre où Said Achtouk a vraiment excellé est incontestablement la poésie sentimentale et amoureuse d’autant moins qu’elle n’est pas très en vogue chez les Amazighs. Les thèmes de la femme et de l’amour sont un leitmotiv dans sa poésie. Une situation d’autant plus paradoxale que la société est dominée par une morale des plus puritaines qui ne tolère aucunement de parler de ses sentiments et encore moins les chanter. Et c’est là, en fait, qu’il a fait montre non seulement de beaucoup d’originalité, mais aussi de courage.

Ainsi, S. Achtouk a surmonté ce tabou pesant et a donné à cette poésie sentimentale ces lettres de noblesse. Il n’est pas sans rappeler ces poètes-trouveurs qui ont inventé et propagé la poésie de la "fin amour" ou l’amour courtois, au Moyen-Âge européen. Comme eux, notre rrays a placé la femme au centre des ses préoccupations. Il a su mieux que quiconque exprimer en langue amazighe les différentes facettes de l’âme d’un poète perpétuellement subjugué et fasciné par la gente féminine. En effet, il suffit d’évoquer son nom devant un profane ou un spécialiste pour s’entendre dire amarir n tayri. Méditons ces magnifiques vers où S. Achtouk, avec des mots simples, décrit merveilleusement bien la beauté féminine. Le tableau qu’il en brosse, qui peut paraître étrange à un lecteur non amazighe, correspond, en fait, à un certain idéal féminin, bien ancré dans l’inconscient populaire, et auquel le poète ne fait que donner forme :

Bark llah ay atbir ihêba rric
Ô bonheur ! toi, la colombe que cachent ses plumes !
Rzêmen-d i u azzar ighwman, ihêbut akw
Qui a laissé ses cheveux noirs la couvrir
Tuzzûmt ignzi âh-d ibdâ tidlalin
Tu as fait une raie au milieu de ton front
Afus d umggerêd n-s akw ibayn
On peut voir ta main et ton cou
Zund ukan îh gisen diaman
Desquels pendaient des diamants
Imma kra n twallin zud tadwatin
Tes yeux ressemblent aux encriers
Imma kra n tmimmit tga tamdûwwurt
Ta bouche est toute rondeTuxsin rwasent kullu diaman
Tes dents ressemblent aux diamants
Udem n-s idûwr yurwus âh-d ukan
Tu as un visage rond qui me rappelle
Tazughi n lfjer llîh-d iqerb lhâl
Les lumières du lever du jour
Adâr zud ukan lkwas n lbellar
Tes pieds ressemblent aux verres de cristal
Idûwr asen tirra n lhênna d lucam
Qu’entourent les motifs du henné et du tatouage
Ignzi n-s ajddig n lwurd îh-d iffugh
Ton front est tel une rose qui vient d’éclore


Cette beauté fantasmée et de surcroît amplifiée par le jeu de comparaisons se rapportant à des matières précieuses n’existant pas forcément dans le milieu rural, ne laisse aucunement notre poète indifférent ; elle le perturbe profondément. Les formules exagérées voire hyperboliques sont utilisées abondamment. Jugeons-en :
Ad ukan felli terzêmt i usmmaql
Dès que tu me jettes un regard
Yaddum kullu u adif ura ssâhêt
Je sens mon corps fondre


Ou bien,


Unnîh lqtîb ihâdan timlli n ufus
J’ai vu un foulard tenu par une main blanche
Wallit irban ighlb a flan ukan ayyur
Celle qui le tient est plus belle que la lune
Is ukan dis mmaggarêh ikcmâh lxuf
Je suis tellement perturbé quand je l’ai rencontrée
Ibid izêri inu naddum kullu hê lmakan
Que je n’arrive plus à me tenir debout
Nghwid atay nsu gis imikkik n yan
Lorsque j’ai pris une gorgée de thé
Iggummi ufus inu a dâh sul isers lkas
Ma main ne voulait même plus lâcher le verre


Par conséquent, le poète ne résiste pas longtemps au sentiment amoureux qu’il compare à une maladie qui le consume petit à petit. Il n’hésite pas à solliciter Dieu afin d’insuffler l’affection (selon l’expression même du poète) dans le cœur de l’être aimé en adoptant son ton plaintif habituel. En désespoir de cause, il invoque des raisons purement surnaturelles, et plus exactement la sorcellerie et la magie, pour expliquer ses malheurs. Elles sont l’unique recours contre l’inexplicable. Il faut dire que pour ce qui est de notre poète, son milieu rural l’y prédispose. Il y a tout un savoir local très sophistiqué de toutes sortes de recettes destinées à provoquer l’amour ou à l’estomper. Si bien que l’amour n’est jamais considéré comme un phénomène naturel ; il participe de la magie :

Ghwîh ak lxater n-k nra ad darnêh timyurm
Je fais tout pour que tu restes avec moi
Nekki ssennêh nit izd lhêrz ad âh turam
Je suis sûr que tu m’as ensorcelé avec une amulette.

Ou encore :

Rawâh a nmun a walli f ukan terbbit a tasa nu
Mon amour, viens avec moi !
Nrbut bdda zud arraw hê ifasen
Je m’occupais de toi comme mon propre enfant
Ur nessin man lhêrz a yyi iksen ssâhêt
Je ne savais pas que c’est l‘amulette qui m’a fait tant de mal

L’avènement de valeurs nouvelles dans la société, dû à l’influence du capitalisme et du consumérisme, a des répercussions sur les mœurs et les attitudes des gens. Des comportements nouveaux dictés par l’argent, jusqu’à là inconnus, font leur apparition. S. Achtouk n’a de cesse de dénoncer cette logique matérialiste insidieuse et irréversible, qui corrompt les relations hommes/femmes et empêche ipso facto toute possibilité d’amour pur et désintéressé. En romantique invétéré, il a toujours déploré cette situation qui n’entraîne que désenchantement et désillusion:
Ur nsamêh i tmeà ihlk willi rîh
Je ne pardonne pas à la cupidité qui a emporté tous ceux que j’aime
Ur ujjan a yyi-d ilkm walli f allâh
Elle a empêché ma bien aimée de revenir
Lhûb inghat lgherd lmal a sul illan
L’argent a tué l’amour et a tout corrompu
Ih ira kra ljib n-k inna i ak nrak
Si quelqu’un veut ton argent, il te dira qu’il t‘aime
Ar ak rzzêmen lbiban kullu wi lxir
Et te promettra monts et merveilles
Ar îh ismd lgherêd iqqenten-id fellak
Une fois qu’il a ce qu’il voulait, il partira à jamais

Même si le poète baigne dans le bonheur avec la femme aimée, l’envieux, ce personnage hideux, dont la présence est constante dans les poèmes achtoukiens, est toujours à l’affût de la moindre occasion pour allumer le feu de la discorde. Résigné et désespéré, le poète s’interroge sur les raisons de cet acharnement :

Izd ay amhêsad is k ukan isers Rebbi hê tama nu ?
Ô l’envieux ! N’as-tu pas d’autres occupations que moi ?
Ay ajdaà nna-d rebbîh ard ifferd iks yyiten
À chaque fois que j’élève un poulain, tu me le prends
Ak yut Rebbi a yan iran a yyi bdû d usmun inu
Que Dieu maudisse celui qui veut me séparer avec mon compagnon

Tel est S. Achtouk, un éternel écorché vif et un perpétuel inconsolable ; sa poésie sentimentale peut être assimilée à une longue complainte où sa conception de l’amour n’a plus court ou, sans vouloir exagérer, n’a jamais eu court dans la société. Il s’est souvent montré pessimiste, plutôt que de chanter les joies de l’amour, ce sont ses déceptions et ses tristesses qui sont célébrées. Mais sans jamais basculer dans le désespoir total. Méditons ces vers :

Mlad yan ssuq a illan ur sar iqwdâ yan
S’il n’y avait qu’un seul marché, personne n’aurait fait ses courses
Mlad ya u anu ka illan ingha fad ku-yan
S’il n’y avait qu’un seul puit, tout le monde serait mort de soif
Mlad ya uhêbib a illan ingh lhûb ku-yan
S’il n’y avait qu’un seul être aimé, l’amour aurait tué tout le monde

La femme n’est jamais évoquée d’une façon directe. La pudeur, voire une certaine réserve excessive, étant une norme sociale. Il faut deviner que derrière toutes ces métaphores se cachent une femme aimée voire adulée :



La colombe aux yeux verts
Ay atbir igan azrwal, han lbaz (i)
Ô colombe aux yeux verts, fais attention au faucon !
Itters fellawen a kun ghwin ur izrb (i)
Il n’attend que le moment opportun pour t’attraper

Le cheval blanc
Ayyis umlil ittâfen tiddi ura ssâhêt
Le cheval blanc qui est grand et en très bonne forme
Ad izzigz Rebbi lhânana a giwen ilint
Que Dieu insuffle l’amour dans ton cœur
Le faucon

I Rebbi a lbaz rzêmd i rric u alen

Ô faucon, regarde-moi

Ighlb a flan igenzi nnun tafukt

Votre front est plus beau que le soleil




La frange
Ya Latif a tawenza ma kunt yaghen
Ô Dieu ! Frange, qu’avez-vous ?
Ura akw nzêdâr i lhûb nnunt
Je ne peux pas vous aimer



Le poulain

Wanna iran ayyis yawid ajdaâ mzzîyen
Celui qui veut un cheval qu’il choisisse un poulain
Ih iffug s umawal igas rkab iziyyin
S’il va à la fantasia, qu’il lui mette une jolie selle
Même si celle-ci est ouvertement évoquée, c’est le masculin, bizarrement, qui est de rigueur :



L’amoureux

Ay ahêbib larzaq bdânâh
Mon amoureux, le destin nous a séparé
Walynni lqelb ur gik sêbern (i)
Mais mon cœur reste inconsolable


L’ami et le possessif

Bbîh d lawalidayn nmun d umddakl
Je me suis disputé avec mes parents à cause de mon ami
Iga winu, nga wins, nàzzu bahra dar-s
Il est le mien, je suis le sien, il m’aime beaucoup

Le compagnon
A k yut Rebbi a yan iran a yyi bdû d usmun inu
Que Dieu maudisse celui qui veut me séparer avec mon compagnon


A la faveur de ses subterfuges stylistiques voire sémantiques, qui ne peuvent être vus qu’à travers le prisme d’une société rigoriste où la passion amoureuse est perçue comme un danger voire un élément de désordre qui menace sa cohésion, S. Achtouk a su traiter brillamment ce sujet quand bien même les différentes barrières psychologiques et sociales qui doivent s’opposer à son entreprise.

D’où tient-il son inspiration ? Bon nombre de ceux qui l’ont côtoyé affirment, sans ambages, que sa principale source d’inspiration est ses propres expériences sentimentales. Et c’est peut être le réalisme de la description de son vécu, et partant la sincérité qui se dégage de ses textes, qui lui ont valu, entre autre, l’estime d’un large public où toutes les tranches d’âge sont représentées

Ses pairs également reconnaissent volontiers son génie et son pouvoir à captiver le plus récalcitrant de ses auditeurs. Ahmed Amentag, une fois de plus, l’évoque en ces termes : "Said Achtouk est un poète très talentueux… Il est considéré comme le poète de l’amour par excellence. Il a brillé dans d’autres genres poétiques certes, mais sa poésie sentimentale reste la dominante dans toute son œuvre." [25] Et beaucoup de jeunes artistes ont fait le choix de faire leur formation au sein de sa troupe tels : Rqiya Talbensirt, Jamaâ El-Hamidi, Jamaâ Iziki et tant d’autres. Voyons comment El-Hamidi se rappelle son bon souvenir : " […] J’ai passé plusieurs années en sa compagnie. Nos rapports sont caractérisés par le respect et le sérieux […] Il nous conseillait toujours d’être disciplinés et respecter le public […] Même après mon départ, nous nous sommes toujours respectés et bien entendus ; il n’hésitait jamais à faire appel à moi pour jouer avec lui. En fait, je ne me suis jamais séparé de Said Achtouk qu’après sa mort que Dieu ait son âme dans ses vastes paradis. Il a laissé un vide immense. Il a été aimé vivant et aimé mort." [26]

Au total, S. Achtouk a laissé une œuvre monumentale qu’il est urgent et impérieux de rassembler et transcrire pour éviter qu’elle se perde ou qu’elle soit continuellement escamotée par quelques chanteurs sans scrupule. Excepté quelques tentatives de quelques personnes passionnées, de quelques chercheurs ou de quelques associations socioculturelles amazighes, qui essayent, autant faire se peut, de le faire, nous sommes à ce jour, et à notre regret, loin du compte. Celles-ci ont fait, malgré leur peu de moyens, des efforts au demeurant très louables. Et là, il faut absolument rendre un hommage appuyé à l’association "Tiwizi" de Biougra d’avoir eu l’idée salutaire d’organiser régulièrement un festival de la chanson amarg en souvenir de ce fils prodige du Souss. Pour ce qui est des responsables culturels du pays, il ne faut pas attendre grand chose d’eux. Il est tout à fait déplorable de voir qu’ils continuent de faire peu de cas de la culture amazighe. Malgré les discours de bonnes intentions des plus hautes autorités du pays, celle-ci est toujours la grande absente de leurs préoccupations et de leurs programmes. Bien pire, je trouve qu’il est absolument invraisemblable qu’aucune ville ou même village du Souss n’a daigné donner, en guise de reconnaissance, le nom de S. Achtouk à une place ou une rue aussi petite soit-elle. C’est quand même la moindre des choses, quand on connaît l’amour profond et sincère qu’il portait à cette région.

Pour donner au lecteur un aperçu de la poésie achtoukienne, je vous propose cette adaptation de l’une de ses chansons en essayant de rester dans la mesure du possible fidèle au texte.



ALLAH IHNNIK ! ADIEU !


1- Allah ihnnik ay ahêbib lli-d nmun (a)
Adieu mon amoureux que j’ai tant fréquenté
2-Iwin kun wiyyâd ur gik ibid lxir (a)
Vous vous êtes montré ingrat en me quittant
3- Mencek ad kkîh nmun nekki d itun (a)
Nous nous sommes aimés pendant longtemps
4- Ghilad tfelt yyi, ma igan làib init ? (a)
Maintenant, je te demande la raison de ton départ
5- Inid ghar lmal awi-at kra darnêh (a)
Si c’est à cause de l’argent, prenez tous mes biens !
6- Inid anwwac ur ak nssugr yat (a)
Si c’est à cause de l’envieux, je n’y peux rien
7- Ar awen itsutul ikcem ger yyi d itun (a)
Il a tout fait pour s’immiscer entre nos deux
8- Zayd-at ar kîh awn-d rêmin (a)
je vous laisse, mais, un jour, il se détournera de vous
9- Willi awen ittinin ur a nbdû d itun (a)
Alors qu’il vous a promis un amour éternel
10- Nekkin ka fellawen ikcemn ddîd, asîh (a)
J’ai été le seul à prendre vous défendre
11- Fellawen a winu ssiàr ura tadallit (a)
Vous avez été ma fierté mais aussi ma honte
12- Mencek n tmmara ad fellawen jarâh (a)
Vous m’avez causé beaucoup de tort
13- Mencek u attân a kun ikkan ijji i ak (a)
Vous vous êtes remis de tous vos maux
14- Nzûr kullu ssadat fad a kun dawâh (a)
Nous sommes allé voir tous les marabouts pour vous soigner
15- Ar ak-d nttawi ladwiya zud arraw (a)
Nous nous sommes occupés de vous comme de notre propre enfant
16- Nekkisk i tmmara, tegm yyi gisent (a)
Vous nous causez des souffrances, alors que nous faisons tout pour vous les éviter
17- Iffi-d fella u attân zud iggig, ntelf (a)
Je souffre de tous ses tourments qui me submergent
18- Waxxa ukan allâh ar da ssendamêh (a)
Je suscite la compassion à force de pleurer
19- Yan n-xh isllan ar itndam gitnêh (a)
Toute personne qui m’entend compatit profondément
20- Walaynni keyyi ur gik igguz lhâl (a)
Mais toi, tu es resté de marbre
21- Laxbar uhêbib aya-d nnîh (a)
C’est ce qu’il en est de mon bien-aimé
22- Ur âh gin d yat, ur darnêh iga yat (a)
Il ne représente plus rien pour moi, et inversement
23- Nsamêh as llîh isbêr hê lhûb nnâh (a)
Je lui pardonne, même s’il est parti
24- Llah ihnnik ay ahêbib llid nmun (a)
Adieu mon amoureux que j’ai tant fréquenté



BIBLIOGRAPHIE
A. Assid, M. El-Moustaoui, Rrays Said Achtouk, le poète de l’amour et de la femme, Casablanca, Ed.Ennajah Eljadida, 1998.(en arabe)
A. Aydoun, Musiques du Maroc, Casablanca, Ed. Eddif, 1995.
A. Basset, Essai sur la littérature berbère, Paris, Ed. Ibis Press-Awal, 2001.
A. Bounfour, Introduction à la littérature berbère, 1 : Poésie, Paris, Ed. Peeters, 1999.
P. Galland-Pernet, Recueil des poèmes chleuhs, Lille, Ed. Klinksiek, 1972.
P. Galland-Pernet, "Littérature orale et représentation du texte : les poèmes berbères traditionnels", in Études de littérature ancienne n° 3, Paris, Ed. Presses de l’école normale supérieure, 1987.
H. Jouad, Le calcul inconscient de l’improvisation, poésie berbère : rythme, nombre et sens, Paris,Ed. Peeters, 1995.
M. Rovsing Olsen, Chants et danses de l’Atlas, Arles, Paris, Actes du Sud/ Cité de la musique, 1987.


NOTES

1. Son pluriel est imurig. Il est utilisé comme un collectif.
2. Il peut aussi avoir comme sens : le regret, le chagrin, l'absence, le manque, l'air d'une musique ou l'émotion qu'elle provoque
3. P. Galland-Pernet, "Littérature orale et représentation du texte : les poèmes berbères traditionnels", in Études de littérature ancienne n° 3, Presses de l'école normale supérieure, Paris, 1987, pp. 107-118.
4. "Rways" au pluriel et "rrays" au singulier. C'est un poète doublé d'un musicien, compositeur et chorégraphe
5. La transcription de l'amazigh suivie ici est celle usitée sur le site mondeberbere.com sauf pour le "h" emphatique que j'ai transcris ainsi " xh ".
6. Ces vers sont du chanteur du groupe de Ibarazn.
7. Luth amazigh à trois ou quatre cordes. Les autres instruments utilisés sont :
- Rribab : vièle monocorde
- Naqous : idiophone amazighe, constitué de n'importe quel objet métallique frappés avec deux barres de la même matière .
- Nuiqsat : cymbalettes en cuivre fixées sur la main gauche et une sur la main droite entrechoquées par les danseuses.
- Tallount ou taggenza: tambourin sur cadre.
- Tam-tam : deux tambours attachés, de taille différente, frappés avec deux baguettes en bois.
8. Voir la note n° 4.
9. Ce terme, qui n'est pas utilisé chez les Achtouken, désigne la danse poético-chorégrapique la plus répandue chez las Amazighs du Sud-Ouest marocain.
10. Cette danse consiste dans la reprise par un groupe de tambourinaires et de flûtistes des rythmes des chansons amazighes les plus connues, et sur lesquels des danseurs exercent des figures chorégraphiques particulières.
11. La danse des esclaves affranchis où est utilisée énormément de castagnettes, "tiqarqawin", et un grand tambour, vraisemblablement d'origine sub-saharienne, "ganga".
12. A. Aydoun, Musiques du Maroc, Casablanca, Ed. Eddif, 1995, p. 88.
13. M.Rovsing Olsen, Chants et danses de l'Atlas, Ales, Paris, Actes Sud / Cité de la musique, 1987, p.25.
14. Voir note n°7.
15. Voir note n°4.
16. Voir note n°7.
17. Voir note n°7.
18. A. Assid, M. El-Moustaoui, Rrays Said Ahtouk, le poète de l'amour et de la femme, Casablanca,Ed. Ennajah el Jadida, 2000, p.11.
19. C'est la cour de la maison et c'est généralement là que se reproduisent les "rways" lors des fêtes familiales.
20. P. Galland-Pernet, Recueil des poèmes chleuhs, Lille, Ed. Klinksiek, 1972, p. 17.
21. A. Bounfour, Introduction à la littérature berbère, 1- la poésie, Paris, Ed. Peeters, 1999, p.33.
22. A. Aydoun, op. cit. p.56.
23. H. Basset, Essai sur la littérature berbère, Paris, Ed. Ibis Pres, Awal, 2001, p.??????
24. H. Jouad, Le calcul inconscient de l'improvisation, poésie berbère : rythme, nombre et sens, Paris, Ed. Peeters, 1995, p.????
25. A. Assid, M. El-Moustaoui, op.cit, p.11.
26. A. Assid, M. El-Moustaoui, op. cit, p.11.


mardi 20 novembre 2007

Raiss haj Belaid


Raiss Lhaj Belaïd
le maître de la chanson soussie
Pour un non Soussi, le nom de Lhaj Belaïd n’évoque strictement rien. Sa musique non plus. La culture berbère, on ne le sait que trop bien, n’a jamais bénéficié de la reconnaissance qui lui est due. Et si, pour un non berbérophone, des noms comme Nass El Ghiwane ou Jil Jilala sont des icônes, pour un Soussi, dire qu’on ne connaît pas Lhaj Belaïd s’approche de l’offense. De Tafraout à Sidi Ifni, de Paris à Bruxelles dans la communauté marocaine berbérophone, il reste, presque soixante ans après sa mort, inégalable. Unique et inimitable.

Ses compositions, quant à elles, sont écoutées de génération en génération. Voilà tout ce qui se dit de Raïss Belaïd. Mieux encore : "Dans beaucoup de maisons, la photo encadrée de Mohamed V est à côté de celle de Raïss Belaïd", nous dit Saïd Boussif, directeur de Boussiphone, premier distributeur des 45 tours du musicien. Pourtant, des rwayess, il y en a par dizaines aujourd’hui. Houcine Elbaz, Raïss Amentag ou Aârab Atiggi sont aujourd’hui des stars de la chanson soussie, multipliant les représentations au Maroc et à l’étranger. Leurs productions, cassettes audio ou concerts enregistrés sur VHS ont toujours le vent en poupe.

Les Soussis, comme d’autres, ont besoin qu’on parle leur langue. Et pourtant, les commentaires sont unanimes : "Aujourd’hui, la musique soussie est devenue commerciale. La plupart des rwayess bâclent musique et textes et ne pensent qu’à vendre". L’époque de Raïss Belaïd est bel et bien finie. Celle des mélopées romantiques qui faisaient vibrer les hommes et des longs poèmes chantant l’amour qui faisaient pleurer les femmes : "Et c’est loin d’être une légende. Là où il passait, les femmes pleuraient. Certaines perdaient même connaissance", nous dit Lahcen Belhaj, réalisateur de films et de documentaires en soussi.

Lhaj Belaïd était un raïss. L’équivalent d’un mâalem dans la culture gnaouie pour les néophytes. Un maître de musique en somme. Un raïss, compositeur, auteur et interprète, chef de troupe. Lui, était beaucoup plus que cela. Poète, maître en rimes, en métaphores et en amarg (le mot désigne la nostalgie et la poésie soussies mais aussi la musique où cette poésie est chantée) : "N’importe qui ne peut pas comprendre les textes de Raïss Belaïd.
Chaque phrase est une image, que ce soit dans des chansons sur l’amour, sur l’émancipation des femmes ou encore les valeurs de la société", précise Raïss Hmad Amentag, originaire de la région de Tafraout. Mieux encore. Le rbab, instrument à une corde, majeur dans la musique soussie, c’est lui qui l’y a introduit : "La corde était en crin. Actuellement, elle est en plastique", regrette Lahcen Belhaj.

C’est en 1873 que Raïss Belaïd est né à Anou n’âaddi, douar dans la région de Tiznit. Mais ce n’est pas là qu’il grandira. Ce sera dans le mellah de Tahala aux environs de Tafraout : "C’est là qu’était concentrée la plus importante communauté juive du Souss" continue Lahcen Belhaj. Belaïd y côtoiera chanteurs et poètes juifs berbères. C’est auprès d’eux qu’il apprendra la musique. À partir de là, dans les cérémonies, c’est à lui qu’on fera appel.
Comme dans les soirées organisées par les grands des douars. Très tôt, il deviendra l’un des plus grands raïss.

Le docteur Mohamed Bizrane, chirurgien à Agadir et fils de Saïd Achtouk, autre illustre raïss décédé en 1989 raconte : "Quand Raïss Belaïd est décédé en 1945, mon père avait à peine 11 ans. Il était déjà son idole. Il le sera d’ailleurs toute sa vie. Mon père disait toujours : la musique aurait dû s’arrêter à Raïss Belaïd". Saïd Achtouk n’a jamais enregistré : son père s’y opposait.

Quant à son idole, il a, lui, traversé les frontières grâce à sa musique. Car, Raïss Belaïd a enregistré ses chansons. Pas au Maroc et pas pour n’importe qui. Il a, en effet, fait partie de la première série de 78 tours de Pathé Marconi. Rien que cela. De cet enregistrement, on retient encore une anecdote, celle de la rencontre du maître de l’amarg avec un maître de la chanson arabe, Mohamed Abdelouhab en l’occurrence : "On raconte d’ailleurs que Mohamed Abdelouahab était admiratif devant Raïss Belaïd et que celui-ci lui a lancé un défi, celui d’écrire et de composer une chanson sur le champ", raconte Saïd Boussif. Car Raïss Belaïd était connu pour cela aussi : "Il n’écrivait presque jamais ses poèmes, il les improvisait". Que retient-on encore de Raïss Belaïd ? Qu’il a voyagé dans tout le Maroc, de village en village, chantant ici et là avec sa troupe.


Qu’à l’apparition du phonographe, les hommes et les femmes des douars se rassemblaient, en plein air, autour de ses disques et beaucoup pleuraient dès la première note de son rbab. Qu’il a très souvent été invité par Glaoui, tout puissant pacha de Marrakech, pour chanter devant ses illustres invités : "Celui-ci l’admirait énormément et on raconte même qu’il en a fait son conseiller".

L’histoire retient aussi qu’il a chanté les femmes, l’amour, les guerres entre les tribus et des poèmes nationalistes. Et qu’il a initié d’autres grands rwayess dont Sassbo, Boubaker Anachad, Boubaker Zaâri, qui tous ont été ses disciples et ont à leur tour marqué la chanson soussie.

Il reste aussi sa famille. Son fils, qui vit dans la misère la plus totale à Tiznit. Raïss aussi. Et ses petits-enfants, également musiciens doués, connus dans la région de Tiznit. Il reste des rwayess, tous influencés par sa musique. Il reste aussi des 45 tours, précieusement gardés par des familles soussies et des cassettes de plus en plus difficiles à trouver.

Et pourtant : "Il est à la chanson soussie ce qu’est Mohamed Abdelouhab ou Abdelhalim Hafed à la musique arabe". Il y a aussi ce petit jeune, du nom de Ibba Saïd, installé en France et qui cette année a repris et modernisé le répertoire de Raïss Belaïd. Une réussite selon les connaisseurs.

Il reste des chansons, que les Soussis connaissent par cœur et chantent avec nostalgie. Parmi tant d’autres : Atbir Oumlil (la colombe blanche), Taleb (le savant) ou encore Beni Yacoub. Et il reste enfin des mots dont on retiendra : "Ô Colombe blanche, si tu es prête à m’accueillir, je viendrais vers toi, quitte à me perdre en chemin".

Rwayess :
Artistes en voix de disparitions Pour les plus pessimistes, oui. Les rwayess, ces maîtres de la chanson soussie ont laissé place à des groupes de musique qui, de plus en plus, introduisent des instruments de musique modernes (batterie, clavier...) venant couvrir le plus important, le son du rbab, du derst (tam tam) ou encore du loutar (4 cordes).
Ce n’est pas tout, le texte, très important dans l’amarg, est relégué au second plan.

Des grands rwayess ? Non, il n’y en a plus : "Peut-être Tabaâmrant qui laisse le soin d’écrire ses textes à d’autres plus doués qu’elle". Il faut dire aussi que rien n’est fait pour préserver la tradition des rwayess ni pour les faire connaître auprès d’un large public, pas uniquement berbérophone.

Quant aux concerts, ils sont organisés dans la région du Souss, exclusivement. Les deux télévisions, elles, considèrent et traitent encore la musique soussie sous son aspect le plus folklorique. Loin de la poésie berbérophone qui gagnerait tant à être traduite. Les mâalems gnaouis ont eu leur festival grâce auquel ils sont sortis de l’ombre.

Alors, à quand un festival des rwayess ?

Source : Tel Quel


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samedi 17 novembre 2007

Izenzaren

Une légende nommée Izenzaren



izenzaren Igout Abdelhadi
envoyé par DraX2007

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TRES TRES RARE VIDEO D'IGOUT



izenzarn (new)
envoyé par broxis





Qui n’a jamais vibré aux rythmes envoûtants de ce groupe légendaire, Izenzaren ? Qui n’a jamais été conquis par la beauté de ses textes racontant toujours l’Amazigh et ses problèmes ? Aucun probablement ! Il est certain qu’à un moment ou à un autre, les Amazighs, et même les étrangers, ont été subjugués par cette troupe musicale pas comme les autres. Nonobstant son énorme succès, le groupe est resté très discret ; ce qui a probablement amplifié le halo de mystère qui l’entoure.
L’avènement des groupes musicaux dans le Souss n’est nullement une incongruité qui peut seulement être expliqué à l’aune d’un mimétisme de l’Occident. Ce concept a toujours été présent dans la culture des Amazighs du Souss. Les grands rways, Hadj Belàid, Boubakr Anchad, Lhousayn Janti, etc, ont chacun formé leur propre troupe avec laquelle ils sillonnaient les villages et les villes du Souss et même d’ailleurs. Hadj Belàid est allé jusqu’en France à titre d’exemple.

Pour autant, le groupe musical, dans son acception moderne, n’est apparu qu’avec les changements profonds, qu’a connus la société amazighe du Souss à l’aube des années 60. Une époque caractérisée par une ébullition créative musicale avec notamment la création d’un groupe moderne et avant-gardiste, tabghaynuzt (araignée). À en croire Aziz Chamkh, l’un des fondateurs d’Izenzaren : « tabghaynuzt a été le premier orchestre au Maroc ; pour notre génération, elle a été une première école où l’on a beaucoup appris . »

Cette formation musicale et humoristique (un peu à l’exemple d’une troupe tout aussi mythique, Ayt Lmzar, parce qu’originaires de Lmzar d’Ayt Melloul) a été fondée en 1960 par des artistes dont les noms ne disent plus rien au commun des mortels. Parce qu’ils sont tous presque décédés ou vivotent dans l’anonymat le plus total. On peut citer : Abellah El Madani, Farkou, Brahim n Ssi Hmad, Bihmaden, Mohamed Bouslam et Jamaâ Outznit.

Ce dernier, paraît-il, était un prodige. Il était un multinstrumentiste phénoménal. Pratiquement tous les instruments de musique (l’accordéon, le banjo, le rribab, la guitare) n’avaient de secret pour lui.

C’est grâce à cette troupe donc que les futurs fondateurs d Izenzaren ont eu l’idée de fonder en 1970 un groupe qu’ils ont appelé Laqdam (les pas). Une formation qui n’a pas fait long feu, mais ce n’est que partie remise. Car nos jeunes musiciens sont bien décidés à donner corps à un autre groupe qui vivra plus longtemps.

Succès

Après moult appellations, le choix a été finalement arrêté sur Izenzaren. La naissance de cette formation s’est faite d’une manière tout à fait spontanée, à la différence d’Usman (éclairs) qui était plutôt une entreprise artistique très réfléchie dont les fondateurs étaient les premiers militants du mouvement culturel amazigh (Brahim Akhiat, Moustaoui, Azaykou, Eljechtimi, Amarir...).

Le groupe Izenzaren a été très original à tous les points de vue. Il a même inventé un nouveau courant musical, « tazenzart », avec ses rythmes, ses poèmes et sa propre thématique.

Il a cristallisé pendant des années, à l’échelle du Souss, la querelle entre les Anciens et les Modernes, entre les tenants de « tarrayst ». Autrement dit, la pratique traditionnelle de la musique. Et les tenants de cette nouvelle tendance de la musique amazighe, « tazenzart ».

Si le groupe a eu un énorme succès auprès de la jeunesse, les adultes ont bien évidemment été, pendant longtemps, réticents à cette nouvelle forme de musique avec des musiciens rebelles aux cheveux très longs et aux méthodes qui rompent totalement avec ce qui est connu jusqu’à présent.

Il n’était pas rare que les rways, s’imaginant que le groupe Izenzaren était une menace pour eux, les prenaient en dérision. Said Achtouk par exemple. Mais avec le temps tout s’est arrangé, vu que leur public n’était pas le même. Izenzaren s’adressaient plutôt à un public jeune, souvent scolarisé, et, qui écoutait plutôt la musique occidentale. On pourrait même affirmer que beaucoup de ces jeunes ont su apprécier la musique des rways en faisant un détour par les groupes amazighs modernes. Ce qui est mon cas et tant d’autres amazighs de ma génération.

La rupture avec les rways est visible à certains niveaux. L’apparence physique et vestimentaire : une chevelure qui va jusqu’aux épaules, des habits modernes ( des jeans, des chaussures ...). Les instruments de musique : le banjo qui détrône le ribbab, le violon, la basse (agembri),etc. Les chants qui épousent les soucis de toute une génération de jeunes amazighs, déroutée par les métamorphoses rapides de la société. Enfin, les rythmes qui ne ressemblent en rien à ce qui avait cours chez les rways.

La première cassette du groupe a été commercialisée au début de 1974. Le succès a été fulgurant. C’est devenu un phénomène de société. Une légende a vu le jour en d’autres termes. Tout le monde ou presque fredonnait, et, même plus, connaissait par cœur leurs premières chansons culte, teintées de cette nostalgie et de cette mélancolie qui caractérisent tant la musique amazighe du Souss : immi henna, wad itmuddun, wa zzin, etc.

Le talent musical d’Izenzaren ne saurait suffire pour faire de ce groupe ce qu’il est sans l’apport d’un parolier qui a écrit la majorité de leurs chansons, Hanafi Mohamed. « Un homme de l’ombre et un poète extrêmement timide, mais ô combien doué », selon l’expression même de Aziz chamkh.

Engagement

Avec Izenzaren, l’engagement dans la musique, une notion peu connue jusqu’à alors dans les mœurs musicales marocaines, prend toute sa signification. Et cela pour deux raisons. Primo, le groupe, qui n’a jamais succombé à l’argent - ses membres ne roulent pas forcément sur l’or -, a toujours eu une grande idée de l’art musical à qui il a donné ses lettres de noblesse. On peut dire que cette attitude est vraiment unique dans tout le Tamazgha. Secundo, la chanson izenzarienne a cette caractéristique particulière de ne pas traiter de sujets rebattus. C’est vrai que le groupe a traité de l’amour à ses débuts, mais sans pour autant tomber dans la facilité et encore moins dans la vulgarité. Je dirais même que leurs chansons d’amour étaient pourvues de ce « je ne sais quoi », ce mystère qui donne aux œuvres artistiques une vie éternelle. Wa zzin (ô beauté), tasa ittutn ( le cœur blessé), àawd as a tasa nu (ô mon cœur, raconte) , etc, font désormais partie du répertoire classique de la chanson amazighe.

Chemin faisant, Izenzaren épousent progressivement les soucis concrets du public. Exit la thématique sentimentale ! Désormais, leurs thèmes, caractérisés par un traitement pour le moins pessimiste voire même noire, tournent autour de la contestation sociale et politique, la revendication identitaire, la dénonciatation de toutes les injustices, etc. Pour preuve, on a qu’à voir les titres de leurs chansons : Tillas (obscurités), Gar azmz (mauvaise époque), lmeskin ( le pauvre), izillid (l’orage), tuzzalt (le poignard), tixira ( fin du monde), etc.

Séparation

Le succès venant, les dissensions n’ont pas tardé à éclater au sein du groupe. Résultat. Il se scinde en deux parties portant le même nom : la première autour d’Aziz Chamkh ; la deuxième autour d’Iggout Abdelhadi. D’ailleurs tout ou presque a été dit sur cette séparation. Beaucoup croient à ce jour qu’il s’agit d’un complot ourdi par ceux-là même que le succès de ce groupe amazigh dérangeaient au plus haut point. Mais, il semble que les raisons soient plus personnelles qu’autres choses. Incompatibilité d’humeur entre les membres du groupe certainement ! D’ailleurs, pour en savoir davantage, j’ai posé la question à Aziz Chamkh qui a eu cette réponse éloquente : « mais nous n’étions pas mariés pour parler de séparation ! d’ailleurs je ne comprends jamais pourquoi on m’interroge souvent à ce sujet. » Belle manière d’éviter de raviver des souvenirs qu’on préfère taire à jamais.

Si le premier groupe a fait un travail de recherche approfondie sur le patrimoine musical amazigh en remettant au goût du jour- et de quelle manière !- le répertoire classique des grands rrays, notamment Hadj Belâid, et en créant de temps en temps, le deuxième groupe a toujours fait dans la création pure. Il est d’ailleurs le plus apprécié non seulement à cause de la personnalité rebelle, marginale et anticonformiste, de son chanteur vedette, Iggout Abdelahadi, mais aussi à cause de cette façon unique à manier le violon et surtout le banjo. D’aucuns l’appellent volontiers le magicien de cet instrument, voire son plus grand spécialiste dans tout le Tamazgha. Il faut dire que ses compositions sont inimitables. Jusqu’à présent personne n’a pu l’égaler, même si nous avons assisté à l’avènement d’une multitude de groupes, aussi divers que variés, et qui ne manquent nullement de talent : Archach, Titar, Izmawen, Laryach, Oudaden, Ibarazen, Igidar...

Les influences musicales d’Izenzaren sont pour le moins nombreuses. Pourvu qu’on y prête bien l’oreille, cela peut aller du patrimoine musical amazigh présenté par l’Ahwach, l’ajmak, l’ahyad, l’ismgan ou l’ignawen, les rywas, des rythmes afro-sahariens et même du Country américain.


Izenzaren abdelhadi
envoyé par batif-26

A quand du nouveau ?

Izenzaren, avec leurs textes caractérisés par une langue des plus recherchées et leurs arrangements originaux, resteront toujours un mythe qui a marqué toute une génération d’Amazighs. Jusqu’à présent, à chaque spectacle du groupe, ce sont des milliers de fans qui se déplacent pour y assister, et, souvent, tout le monde reprend collectivement les paroles de leurs chansons.

Cette formation musicale est souvent plébiscitée comme le meilleur groupe amazigh. Mais on regrette presque le fait qu’il n’ait pas produit aucun album depuis 1990.

En 1998, dans l’un de leurs concerts à Agadir, le public entonnait collectivement à l’adresse du groupe : « Nera amaynu ! » (Nous voulons du nouveau ! ). La réponse d’Iggout Abdelahadi a été pour le moins cinglante : « il faut déjà que vous compreniez les anciens albums pour en exiger un nouveau », lâcha-t-il.

En effet, ce n’est pas donné à tout le monde de comprendre la poésie izenzarnienne souvent qualifiée d’ « ésotérique », mais en tant que public amoureux de ce groupe, du nouveau est toujours le bienvenu. Même si on ne se lasse jamais d’écouter leurs anciennes chansons qui ne perdent jamais de leur magie. Bien plus, elles sont carrément des repères identitaires pour une jeunesse amazighe assoiffée de reconnaissance et, surtout, à la recherche de symboles. Ce qui peut aisément se vérifier de visu à chacun de leurs spectacles.

Longue vie donc à Izenzaren et merci à eux ! Car ils nous ont donné, en plus de l’émotion, la fierté d’être amazighs.

La seule nouveauté du groupe reste cette chanson, izd ghik ad a tram ?

izd ghik ad a tram ? ghik ad ran ? a ggisen ukan iligh izd ghik ad a tram ? ghik ad ad ran ? ad yyi nit ittjrun ar temtatent ayt ma-k gh iswak ur lsan, bbin asen w adan, ilih asen asafar lkem yyi-n s ugharas ! zund nekkin, zund keyyin zund keyyin, zund nekkin yan iga lhsab yan ay iga w awal war lmal igh gguten amya ur sis llin izd ghik ad a tram ? ghik ad ran ? wa ad yyi nit itjrun * * * * wa f yyi-d afus ! anmun gh ugharas nffagh kem, a tamazirt nfl tt i wiyyadv wa nstara gh tmizar tilli lligh ur nlul


source : Lahsen Oulhadj (Montréal) Souss.com

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IZENZAREN IGOUT Abdelhadi 4
envoyé par tariracht

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